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Francis Joyon : « Sur la Transat anglaise 2000, je suis parti avec des dettes sur le dos, un bateau pas assuré… »
Débarqué par son sponsor quelques mois plus tôt, Francis Joyon se présente au départ de la Transat anglaise 2000, devenue The Transat CIC, les poches percées, avec un bateau préparé à l’arrache. Moins de dix jours plus tard, le Menhir de Locmariaquer s’impose à Newport. Vingt-quatre ans plus tard, il s’en souvient comme si c’était hier…
The Transat CIC (Lorient - New York), départ le dimanche 28 avril
Que représentait la Transat anglaise pour vous ?
C’était la plus belle de toutes les transats, celle qu’Éric Tabarly avait gagnée, celle qui avait fait éclore la voile et la course au large au grand jour. C’était le Graal.
Les victoires d’Éric Tabarly ont-elles nourri votre imaginaire ?
Bien sûr que j’avais une forte admiration pour ce qu’il avait fait, pour le bonhomme, pour son parcours de marin, pour toutes les difficultés qu’il avait rencontrées et réussi à surmonter.
Pourquoi dit-on que c’est la transat la plus difficile ?
Du temps où elle partait du sud de l’Angleterre, avec des bateaux qui étaient plus lents à l’époque, tu ne pouvais guère échapper aux dépressions. Il fallait accepter d’en prendre trois, quatre, cinq ou six avant d’arriver au but. J’en ai disputé plusieurs des Transats anglaises et ce fut à chaque fois du mauvais temps, des vents d’ouest. Maintenant, les trajectoires gagnantes des dernières transats ont été faites sur des routes sud pour échapper à ça. À l’époque de Tabarly, il fallait rester sur l’orthodromie. Sur une Route du Rhum, tu peux prendre une ou parfois deux dépressions mais la route permet globalement d’y échapper.
En 2000, votre sponsor Banque Populaire vient de vous lâcher : dans quelles conditions vous présentez-vous au départ ?
Vous savez bien que je suis assez optimiste dans la vie : à ce moment-là, j‘avais en tête le fait que je retrouvais certes un mode minimaliste mais j’avais quand même la possibilité de courir grâce à Eure-et-Loir et quelques petits partenaires que j’avais pu réunir. Je n’avais pas vraiment une attitude revancharde, j’étais plus dans l’attitude d’un gars qui a réussi à remettre un projet en place. Un gars qui a pas mal de dettes sur le dos, qui n’a pas pu assurer son bateau mais qui se dit que c’est déjà génial de pouvoir courir à nouveau. Je me disais surtout que je devais être sage, ne pas casser le bateau. J’avais déjà chaviré sur cette transat donc je ne pouvais pas me permettre de prendre des risques comme j’en avais pris les éditions précédentes où je devais courir après la victoire, quel qu’en soit le prix. Là, j’y allais en bon marin.
Comment s‘est déroulée cette traversée ?
On n’a pas arrêté de se prendre des dépressions sur la figure. Je n’avais pas de vraie météo car je n’avais pas de routeur, mes fichiers de vent étaient complètement archaïques. J’étais très peu outillé, j’avais juste le bord rapprochant qui reste une valeur sûre. Je n’étais pas toujours au courant de la position des autres, je n’avais pas de téléphone satellite, je n’avais pas de budget communication. J’avais un bateau qui marchait bien, un plan Nigel Irens très bien dessiné, qui passait bien dans la mer au près, face au vent. Il avait un passage assez doux dans la mer formée, ce qui me permettait d’aller vite sans faire souffrir le bateau. Le bateau ne souffrait pas, je ne prenais pas de risque mais j’allais vite. Je me souviens que je manœuvrais beaucoup, je changeais les voiles toutes les heures.
Le multicoque sur ce parcours, c’était vraiment casse-gueule non ?
Cette année-là, il y avait six trimarans Orma mais je n‘avais pas été classé avec eux parce que j’étais arrivé à l’arrache et je n’avais pas eu le temps de faire jauger le bateau. Mais oui, ça restait très engagé. Le rapport surface de voile - poids - longueur, on est au double des Ultimes d’aujourd’hui. En Orma, on avait 30 mètres de tirant d’air et les Ultimes, qui sont deux fois plus grands, n’ont que trois mètres de mât en plus.
Cette victoire à Newport, c’était un joli pied de nez vis-à-vis de votre ancien sponsor ?
J‘avoue que j’ai pensé ça, cela m’a fait plaisir de gagner dans ces conditions-là. C’était une belle victoire, un pied de nez au fonctionnement que j’avais avant, avec un gros sponsor, une grosse équipe, un bon budget. Là, gagner avec un fonctionnement à l’arrache total, c’était hyper satisfaisant. D’ailleurs, j’en ai tiré des conclusions un peu primaires en me disant « puisque ça marche à l’arrache, je vais continuer comme ça » (rire).
Qu’est devenu votre trimaran Orma ?
Ce bateau, c‘est une longue histoire assez compliquée… J’ai chaviré deux fois avec ce trimaran : en 1996, je chavire sur la Transat anglaise et je parviens à sauver le bateau. Je chavire à nouveau sur la Route du Rhum en 2002, la fameuse édition où nous sommes 18 Orma au départ, seulement trois à l’arrivée. Je suis pris dans la grosse tempête et je suis resté cinq jours à l’envers sur mon bateau retourné qui s’enfonçait dans l’eau jour après jour. Comme j’avais continué avec le même type de fonctionnement, le bateau n’était pas assuré, je ne voulais pas l’abandonner. Il n’y avait toujours pas un sou, pas une assurance, rien (rire). Finalement un bateau de pêche m’a remorqué et on a pu le ramener jusqu’à La Trinité. On a récupéré les morceaux de mâts, les voiles. C’était une épave. Le bateau était sur un terre-plein et j’avais peu de temps pour m’en occuper car j’avais mon programme de courses et de records sur le gros bateau (NDLR : le maxi-trimaran Idec Sport). Finalement, il y a à peu près dix ans, j’ai vendu l’épave à un Portugais passionné, Antonio, un très bon marin, un homme d’affaires qui l’a fait remettre en état avec un peu de confort. Hélas, il est décédé dans un accident de moto et le bateau est resté à l’abandon au Portugal pendant des années. Je l’ai racheté il y a quatre ans.
Que comptez-vous faire avec ce multicoque ?
Je l’ai ramené à La Trinité, je l’ai remis sur le même terre-plein où il était auparavant et, depuis l’été dernier, je le remets en état. Je fonctionne exactement comme en 2000, année où j’ai gagné la Transat anglaise avec ce bateau : ça me fait marrer de me retrouver dans la même situation 24 ans plus tard. Bon, c’est un choix plus ou moins obligé, un choix de fainéantise aussi car je n’ai pas envie de chercher de nouveaux sponsors.
Oui, j‘avais un peu dans l’idée de participer à The Transat CIC, ça aurait été sympa mais il n’y a pas de multicoque cette année. Ce bateau, que j’ai fait jauger en classe Multi2000, peut encore être performant. Il peut notamment participer à la Route du Rhum dans la catégorie Rhum Multi donc il a encore un potentiel de courses. La prochaine Route du Rhum ? Oui, c’est possible. J’ai enlevé tous les éléments de confort, j’ai enlevé le poids en trop. Je l’ai inscrit à des courses comme le Tour de l’île de Wight, La Trinité - Cherbourg. J’ai hâte de voir le niveau de performance du bateau pour aller plus loin.
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