Coupable de triche sur la Solitaire du Figaro Paprec 2023, Benoit Tuduri s’élance, ce jeudi 21 mars, de Saint-Malo sur la Route du Pardon, un parcours de 9 000 milles en forme de rédemption pour l’ancien skipper du Team Vendée.
Ça a été difficile, forcément. J‘ai connu plusieurs phases, d’abord une phase où je ne savais pas trop quoi faire. J’ai pensé à vendre le bateau mais je n’arrivais pas trop à me projeter, je n’arrivais pas à passer à autre chose après cette catastrophe. Et puis, j’ai reçu cet appel de Daniel Doizé, je ne le connaissais pas mais il m’a proposé ce projet de la Route du Pardon. Il a pensé que ça correspondait bien à ma situation. C’est un projet commémoratif et historique sur les traces du commerce triangulaire. Cette idée a fait son chemin dans ma tête car j’avais besoin de naviguer en solitaire. Le format est intéressant, c’est aussi un peu une manière de faire quelque chose de plus positif avec ce Figaro 3.
Ce fut très compliqué. L‘an dernier, j’étais déjà très endetté par cette Solitaire du Figaro. Je suis un marin professionnel et je ne suis pas du tout un skipper de course au large, c’était ma première compétition, ma première saison. J’avais tout investi dans le Figaro en me disant que si je voulais faire quelque chose, je devais y aller à fond. La fin de l’année 2023 fut très compliquée, d’autant plus que le peu de sponsors que j’avais trouvés n’a logiquement pas continué. J’ai perdu les financements de la saison. Pour ce nouveau projet de la Route du Pardon, qui demande à nouveau de l’argent, j’ai emprunté. Je fais beaucoup de choses moi-même. Mais là, je n’ai pas d’autre choix que de vendre le bateau à l’arrivée : c’est déjà signé. Sinon, je vais travailler cet été en Corse pendant quatre mois, en tant que skipper sur des gros bateaux.
J‘ai mis du temps à ressasser tout cela, je ressasse toujours, à me demander comment j’ai pu en arriver là. Selon moi, plusieurs choses sont liées : il y a la pression du résultat bien sûr mais ça part aussi beaucoup du fait que sur la première étape, où je passe la ligne en premier, où j’ai du mal à réaliser que j’ai gagné une étape et que le lendemain, c’est l’ascenseur émotionnel car on me reclasse 4e. Bon, j’ai fait une faute (il a matossé deux bidons sur le pont), c’est sûr. Sur le moment, j’ai mal réagi, j’aurais dû prendre cette sanction avec pédagogie et apprendre de mon erreur de débutant sur ce circuit. Au contraire, ça m’a braqué. En plus, j’ai commis une grosse erreur, celle d’être un peu tout le temps sur les réseaux sociaux, à répondre aux médias alors que j’aurais dû rester dans ma bulle.
Toute l‘année, on dispute des courses Figaro entre nous, c’est une ambiance bisounours et là, je me suis retrouvé avec un super résultat dans l’étape 1, avec des médias, ça m’a fait vriller. Je pars sur l’étape 2 en étant fatigué car je n’ai pas su me reposer. Objectivement, l’étape 2 est très bien aussi, je termine 6e mais, dans ma tête, je n’avais qu’une envie, c’était de retoucher un podium. J’avais entrevu les possibilités pour la saison prochaine où, après l’étape 1, on me parlait déjà de sponsoring en 2024. Pour moi, c’était la sortie du tunnel, ça me permettait d’assurer la suite. Avec Pierre Daniellot, on s’est entraîné tout l’hiver sans coach : ça passait sur les petites courses mais pas sur un événement comme la Solitaire. Là, il aurait fallu être sérieusement accompagné. Je suis éducateur sportif et c’est clairement une partie que j’ai négligée alors qu’en temps normal, j’aurai donné ce genre de conseil. Et ça, c’est ma deuxième grosse erreur.
Je me retrouve au départ de la 3e étape et en une heure, j’ai décidé d’enfreindre une règle : dans ma tête, ça a complètement vrillé. J’ai triché sur la dernière étape. À Roscoff, avant de partir, je vais acheter une carte SIM pour me rassurer sur mes choix météo.
Oui, je n‘avais clairement pas besoin de ça. Je me suis tiré quatre balles dans les pieds.
Oui et je m‘en voudrais toute la vie.
Oui, j‘ai reçu un suivi psychologique.
C’est une manière de tourner la page, j’y vais dans une démarche très personnelle d’introspection. C’est aussi un chemin vers la rédemption.
À la base, c‘est très ouvert, ce parcours peut se faire en solitaire ou en équipage avec n’importe quel bateau, entre Saint-Malo - Île de Gorée - Martinique - Guadeloupe et retour à Saint-Malo. Là, je suis seul à partir et je me fiche un peu de ne pas avoir du monde autour, j‘y vais vraiment pour moi. Je pense que je vais mettre entre 48 et 50 jours. Je ne sais pas trop à quoi m’attendre mais ça me va.
Oui, ce n‘est pas une course FFVoile. J’ai un téléphone satellite à bord, c’est normal pour une transat aller-retour.
Dans mes phases de réflexion, à un moment, je me suis dit que si on me laissait la possibilité de refaire une Solitaire, même sans sponsor, juste pour faire de la voile propre, j’y allais. Après, j‘ai eu une autre phase où je me suis dit que la course au large était un monde assez particulier, et je me suis demandé si c’était vraiment ce que je recherchais. Est-ce que je ne recherche pas plutôt le dépassement de soi, le fait de trouver des sensations sur un bateau. Là, tout de suite, je sais que je ne suis pas capable de remonter un projet, cela prend du temps, de l’énergie et des sacrifices. Mais ça pourrait m’intéresser de rejoindre un projet, une équipe ou faire du double. J‘attends les conclusions que je vais tirer de cette longue route pour savoir où j’en suis.
La première commission m‘a mis deux ans et j’ai fait appel. Cet appel, c’était principalement pour proposer d’avoir des travaux d’intérêt généraux. Notamment auprès des jeunes. Je travaille toujours avec la protection de l’enfance. D’ailleurs, je suis allé les voir après la Solitaire.
Je leur ai tout expliqué, c‘était transparent et très intéressant. Ils m’ont demandé pourquoi j’avais fait ça, ils étaient déçus. Les questions étaient très simples. Il était important d’aller les voir, de m’expliquer. Ce sont des enfants que je vois depuis quelques années : je ne pouvais pas arrêter d’aller les voir, ça aurait été lâche.
(*) Il est sur le coup d‘une interdiction temporaire de participer aux manifestations sportives organisées ou autorisées par la FFVoile pendant une durée de cinq ans dont trois avec sursis.