Routage, tout ce qu’il faut savoir sur l’assistance météo dans la course au large

Philippe Eliès

Par Philippe Eliès

L‘affaire Crémer-Le Turquais, soupçonnés d’avoir triché lors du Vendée Globe 2020, met en lumière la question du routage. Voici toutes les questions que l’on peut se poser sur l’assistance météo dans la course au large.

Un exemple de routage entre la pointe nord-ouest espagnole et La Trinité-sur-Mer.
Un exemple de routage entre la pointe nord-ouest espagnole et La Trinité-sur-Mer. (Document «sortie brute du logiciel Squid de D Ice.)

Qu’est-ce que le routage ?

C‘est une assistance météo personnalisée effectuée depuis la terre par un spécialiste et envoyée au marin. Selon l’avis de course du Vendée Globe, l’article 6.4 précise que sont interdits « l’assistance météorologique personnalisée et le routage qui est défini comme une analyse, une interprétation ou un traitement d’informations ou de données personnalisées, spécialement préparées pour un skipper ou un groupe de skippers, venant de l’extérieur du bateau et permettant la compréhension des différentes situations météorologiques et le choix de la ou des routes à suivre ou à ne pas suivre ».

22 janvier 2017 : Christian Dumard effectue un routage sur la fin de parcours de l’équipage d’Idec Sport sur le Trophée Jules-Verne. On peut lire le commentaire suivant : « ETA probable le 26 Janvier à Ouessant, soit 40 jours si l‘arrivée se fait avant 9 h du matin ou 41 jours si l’arrivée est plus tard dans la journée ».
22 janvier 2017 : Christian Dumard effectue un routage sur la fin de parcours de l’équipage d’Idec Sport sur le Trophée Jules-Verne. On peut lire le commentaire suivant : « ETA probable le 26 Janvier à Ouessant, soit 40 jours si l‘arrivée se fait avant 9 h du matin ou 41 jours si l’arrivée est plus tard dans la journée ». (Document Christian Dumard Marine Weather and Strategy)

Le routage est-il interdit sur toutes les courses ?

Non, le routage peut être autorisé sur certaines épreuves. C‘est notamment le cas sur l’Arkéa Ultim Challenge - Brest, course autour du monde en solitaire avec escale et en Ultime, qui se déroule actuellement. Chaque team possède sa propre cellule météo : 24 heures sur 24, des spécialistes météo (routeurs ou skippers professionnels) se relaient pour étudier les fichiers et proposer aux solitaires les meilleures trajectoires possibles. Lors des tentatives de records, sur le Trophée Jules-Verne ou la traversée de l’Atlantique Nord, des routeurs professionnels comme Jean-Yves Bernot, Marcel Van Triest, Christian Dumard, sont recrutés par les équipages pour optimiser les routes. Selon nous, aucun routeur professionnel ne prendra le risque d’accepter de router un concurrent sur une épreuve où le routage est interdit.

Le routage est-il interdit dans toutes les classes ?

Non, certaines classes autorisent le routage : il s’agit des classes des multicoques comme les Ocean Fifty et les Ultimes, où l’assistance météo est considérée ici comme un élément de sécurité, surtout en solitaire, sur des bateaux volages. Les classes des monocoques, Imoca et Class40, ont, elles, des règles de « non-routage ». Ainsi sur la Route du Rhum, course disputée tous les quatre ans, en solitaire entre Saint-Malo et Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, certains marins sont routés, d’autres pas.

Comment font les marins quand le routage est interdit ?

Ils se débrouillent seuls ! À bord, ils sont équipés d’une connexion internet haut débit par satellite, comme Starlink par exemple. Tous peuvent aller chercher, via internet, des informations, notamment des fichiers météo téléchargeables qui peuvent être gratuits ou payants, à condition qu’ils soient accessibles à tous et sans exclusivité. En outre, les solitaires reçoivent aussi des données fournies quotidiennement par l’organisateur. À bord des bateaux, les marins possèdent tous des logiciels de navigation, tel Adrena, outil utilisé par le plus grand nombre.

Quel est l‘intérêt de se faire router depuis la terre ?

Cela permet d’aller au bon endroit, au bon moment. En quelque sorte d’être « téléguidé ». Ce routage permet aussi de gagner du temps. En effet, l’analyse des données météo (vent, courant, état de la mer, etc) à bord demande du temps : il faut aussi que la connexion soit bonne, avant de prendre le temps d’étudier les fichiers, ce qui n’est pas toujours simple quand, dehors, les conditions météo sont mauvaises. Si, à terre, un routeur « mâche le travail », cela permet, en mer, de faire autre chose, de dormir, donc de récupérer, de bricoler, etc.

Qui peut avoir intérêt à tricher ?

Des marins peu expérimentés, pas à l‘aise avec l’analyse des données météo. Régulièrement, les coureurs au large suivent des stages dans ces centres d’entraînement afin d’étudier les différents systèmes météo de la planète. Les skippers expérimentés n’ont nullement besoin d’avoir l’aide d’un expert extérieur.

Existe-t-il une zone grise où il est difficile de savoir s’il s’agit ou pas de routage ?

« On s’est aperçu qu’entre certaines équipes et certains skippers, il y a des choses qui ne sont pas interprétées de la même manière, certains estiment que c’est autorisé, d’autres pas », explique Antoine Mermod, président de la classe Imoca.

Prenons l‘exemple du dernier Vendée Globe, au cours duquel Yoann Richomme, alors à terre, proposait un rendez-vous sur le web, intitulé « L’Œil du Vendée », où le marin (très doué en météo) proposait des routages hyper pointus, en direct, pour expliquer les options et choix stratégiques qui s’offraient aux skippers en course. Une émission très intéressante que les concurrents du Vendée Globe 2020-2021 avaient parfaitement le droit de regarder ou de visionner, en direct ou en différé, depuis le large. Il ne s’agit pas ici de routage, puisque ce qui est accessible depuis la terre l’est également en mer mais on voit bien qu’il s’agit là d’une zone un peu floue. Nul doute que les connaissances de Richomme et la pertinence de ces analyses auraient pu en aider plus d’un en mer…

Les organisateurs d‘une course peuvent-ils savoir s’il y a eu routage ou pas ?

Dans l‘avis de course du Vendée Globe, il est stipulé que les organisateurs se réservent « le droit de demander à tout moment le contenu des échanges des skippers avec la terre et les autres concurrents en mer et ce, quels qu’ils soient ». Qu’en cas de refus d’un concurrent de donner le contenu de ses communications, « cela pourra être transmis au jury pour pénalités ».

Cela n’a jamais été fait. Rappelons qu’avant de prendre le départ du Vendée Globe, tous les concurrents signent une déclaration où ils s’engagent sur l’honneur à respecter cette règle de « non-routage ». « Je déclare sur l’honneur que j’ai prévenu ma famille, mon équipe technique, mes sponsors et mes prestataires des règles de non-routage écrites dans l’avis de course et que nous respecterons ces règles ».

Comment se font les échanges entre les terriens et les marins ?

Le plus simplement du monde, via un téléphone portable. Il est aujourd’hui aussi facile de converser et d’échanger avec un skipper dans les mers du sud qu’avec vos proches à terre. Presque tous les marins utilisent l’application WhatsApp où il est possible d’échanger des textes, des photos et des vidéos.

Est-il possible de contrôler les échanges entre la terre et la mer ?

Théoriquement oui, cela a été fait sur la Volvo Ocean Race où les échanges étaient filtrés et contrôlés par les organisateurs. Depuis que ce tour du monde en équipage avec escales se dispute en Imoca, cette règle n‘existe plus. Président de la classe Imoca, Antoine Mermod prévient déjà que cette déclaration sur l’honneur sera encore utilisée sur le Vendée Globe 2024. « La technologie a beaucoup évolué et effectivement, nos règles sont peut-être un peu à la traîne. On devra passer par un système plus restrictif ». Ce ne sera pas avant 2028.

D’autres cas de suspicion de routage ont-ils déjà existé par le passé ?

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Oui, cette petite musique du routage revient régulièrement lors des arrivées du Vendée Globe, course très médiatisée. Tout le monde sait que les solitaires échangent quotidiennement avec la terre, avec la famille, avec des amis, mais aussi avec des membres de l’équipe, dont certains sont très à l’aise avec l’analyse météo. Personne, dans le milieu de la course au large, n’oserait affirmer qu’il n’y a jamais eu le moindre dérapage. Mais jamais aucune affaire n’est sortie, jamais aucune preuve n’a été apportée devant un jury.

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